On ne compte plus les disputes ou mêmes les interpellations pénibles à la fin de la prière à la mosquée. La cacophonie des pratiques n’aidant pas, les différentes règles de la prière en groupe sont sujettes à l’incompréhension avec pour arrière plan une ignorance massive. Cette conflictualité mine les liens entre les fidèles et nuit à la sérénité recherchée dans nos lieux de culte.
C’est pourquoi nous proposons d’exposer ici 20 questions révélant des statuts légaux souvent méconnus et allant parfois à l’encontre des discours arbitrairement les plus répandus . Le cadre méthodologique s’inscrit au sein de l’avis retenu (machhûr) au sein de l’école malikite, toutefois l’article s’adresse à tout musulman soucieux d’élargir ses connaissances qu’il soit malikite ou qu’il souhaite développer une éthique de la divergence.
Les 20 questions sont divisées en quatre catégories :
A/ les questions concernant spécifiquement l’imam
B/ le lien entre l’imam et celui qui le suit (appelé ma-mûm dans l’article)
C/ le lien entre les ma-mûm
D/ Ce qui concerne spécifiquement le ma-mûm seul
A/ Ce qui concerne spécifiquement l’imam
1. Dans un groupe, qui est le plus en droit d’être pris pour imam ?
C’est au plus savant dans la charî’a que revient la primauté de diriger la prière dans un groupe, car on a avant tout besoin des connaissances en matière de prière. En second vient celui maîtrisant le mieux le Coran, c’est-à-dire dans la maîtrise de la bonne prononciation, ce n’est pas en lien avec la quantité mémorisée comme on le pense souvent. Il est donc préférable d’avancer pour imam quelqu’un maîtrisant peu de sourates mais ayant une bonne maîtrise de la récitation que quelqu’un qui a mémorisé l’intégralité du Coran mais qui prononce mal certaines lettres.
2. La prière derrière un enfant est-elle valide ?
Si un enfant – c’est-à-dire non-pubère – venait à diriger la prière obligatoire pour des adultes, la prière de ces derniers est invalide. S’il dirige d’autres enfants comme lui, alors elle est valide pour tous. Pour les prières surérogatoires, l’imamat de l’enfant est valide bien qu’il soit interdit de l’avancer comme imam. Cependant, la pratique en vigueur (mâ jarâ bihi al-‘amal) accréditée par les savants de l’école consiste à tolérer que les enfants s’avancent pour les prières du tarâwîh et ce depuis des siècles au Maghreb comme en Ifriqiyya.
3. La prière derrière une femme est-elle valide ?
Dans l’école, l’imamat d’une femme est invalide de façon absolue qu’il s’agisse de prières obligatoires comme surérogatoires, et qu’elle dirige des femmes comme des hommes.
4. A quoi reconnait-on un imam qui connait son fiqh ?
On trouve mentionné dans les ouvrages malikites que l’on reconnaît la science d’un imam à plusieurs choses : qu’il laisse le temps au fidèle de former les rangs, le fait de ne pas prolonger le takbîr d’entrée en prière (« Allâhu akbar ») ni la salutation finale (« assalâmu ‘alaykum ») afin d’éviter que les fidèles ne le fassent en même temps que lui ou le devancent, et enfin le fait de raccourcir l’assise du milieu pour le tachahhud.
5. Un ma-mûm peut-il être pris pour imam ?
On ne peut pas prendre un ma-mûm (personne dirigée par l’imam) pour imam, et ce même s’il s’agit d’un retardataire et qu’il se retrouve à terminer sa prière seul après le salâm de l’imam. Car même s’il est seul, il a le statut de la prière en groupe.
B/ Ce qui concerne le lien entre l’imam et le ma-mûm
6. A partir de quand considère-t-on qu’on a acquis le mérite et le statut de la prière en groupe (jamâ’a) ?
Dès lors que l’on a réussit à valider au moins une unité avec l’imam, c’est-à-dire d’être entré en inclinaison avant que l’imam ne se soit totalement relevé de l’inclinaison (rukû’) de la dernière unité et marqué un instant d’immobilité (tuma-nîna). La conséquence est que l’imam prend en charge les oublis du ma-mûm impliquant une réparation survenus lorsqu’ils prient ensemble (et non lorsque le ma-mûm termine sa prière seul après le salâm de l’imam) et le fidèle obtient la récompense de la prière en groupe.
7. Se placer devant l’imam invalide-t-il la prière ?
Se placer devant l’imam est déconseillé (makrûh) mais la prière du ma-mûm reste valide, et si cela est dû à une difficulté (manque de place par exemple) alors il n’y a plus de karâha. Il est demandé que l’imam s’avance même d’un demi-pied par rapport aux fidèles. S’il n’y a qu’un fidèle, il se place à la droite de l’imam. A partir de deux fidèles, ces derniers se mettent derrière l’imam.
8. Peut-on faire un autre groupe après que l’imam de la mosquée ait dirigé la prière ?
Une fois que la prière en groupe à la mosquée a été accomplie avec l’imam, si des retardataires venaient à arriver, il leur serait interdit de réaliser la dite prière en groupe. C’est un droit à l’égard de l’imam, et laisser la possibilité de faire d’autres groupes après que l’imam ait dirigé la prière pourrait faciliter les séditions au sein de la mosquée.
9. Quel est le statut de devancer l’imam dans l’accomplissement des actes de la prière ?
De manière générale, il est demandé au ma-mûm d’attendre que l’imam ait finit les différents actes (paroles ou gestes) de la prière pour le suivre. Le devancer est interdit mais n’invalide pas la prière, et le faire en même temps que lui est déconseillé (makrûh). Cependant, pour le takbir d’al-ihrâm (le 1er « Allâhu akbar » par lequel on entre en prière) et le taslim final (« assalâmu ‘alaykum »), si je commence en même temps ou avant l’imam la prière est invalide, de même si on commence après l’imam mais qu’on finit la formulation avant lui.
10. Peut-on viser une prière différente de celle de l’imam ?
Il est demandé, dans une prière en groupe, que les prières visées par le ma-mûm et par l’imam soient les mêmes. On ne priera pas le dhuhr derrière quelqu’un qui prie le ‘asr, de même celui qui rattrape le dhuhr d’il y a deux jours ne prie pas derrière celui qui prie le dhuhr du jour. Celui qui prie une prière obligatoire ne peut pas prendre pour imam quelqu’un qui prie une prière surérogatoire, la prière du ma-mûm serait invalide. L’inverse, c’est-à-dire prier une surérogatoire derrière un imam qui prie une prière obligatoire est déconseillé bien que la prière reste valide.
C/ Ce qui concerne spécifiquement les ma-mûmîn entre eux
11. Doit-on à tout prix joindre ses pieds en prière ?
Se mettre à pieds joints dans la prière, tout comme chercher à coller les pieds de son voisin en prière est déconseillé (makrûh) car cela détourne du recueillement exigé en prière.
12. Peut-on passer entre les rangs de prière ?
Il n’y a aucune incidence à passer devant les fidèles entre les rangs dans une prière collective, car la sutra du ma-mûm est la sutra de l’imam. On veillera toutefois à ne pas passer devant l’imam (cf. la question suivante).
13. La sutra : dois-je à tout prix éviter de passer devant celui qui prie ?
Il est recommandé à toute personne priant seul ou qui est imam de placer une sutra devant elle si et seulement si elle craint que quelqu’un passe. Par ailleurs, il est interdit à toute autre personne de passer devant cette personne pendant qu’elle est en prière, sauf si elle n’a pas le choix. Cette interdiction ne concerne toutefois que le fait de passer entre le prieur et le lieu où il se prosterne, ainsi il n’y a aucun préjudice à passer devant quelqu’un qui prie si on prend soin de contourner cette zone, qu’il y ait une sutra ou non. Nul besoin ainsi de faire de grands détours comme certains le font. Dans tous les cas, passer devant le prieur n’invalide jamais la prière.
14. Quel est le statut de ceux qui font, non pas deux, mais trois salâm à la fin de la prière ?
Le premier taslim est un pilier de la prière, il est sunna d’en faire un second pour répondre à l’imam en regardant devant soi, et il est également sunna d’en faire un troisième s’il y a un ma-mûm à sa gauche. Cela fait donc trois salutations. On comprend également de cela que celui qui prie seul ne fait qu’un seul « assalâmu ‘alaykum ».
D/ Ce qui concerne le ma-mûm seul
15. Si le rang est complet, dois-je tirer quelqu’un vers moi afin de ne pas prier seul ?
Il est permis de prier seul derrière un rang dès lors que le rang est complet. Il sera fortement déconseillé de tirer une personne du rang pour lui demander de se reculer pour le rejoindre, tout comme il est déconseillé d’accepter d’être tiré comme cela. Cependant, s’il y a de la place dans le rang et qu’il se met volontairement seul derrière, cela est déconseillé et il n’aura pas le mérite de la jamâ’ah.
16. Quel est le statut de la prière à la mosquée ?
La prière en groupe à la mosquée est une obligation collective dans chaque ville et elle est une forte recommandation (sunna mu-akkada) dans chaque mosquée. Dès lors que la prière en groupe a bien lieu à la mosquée, alors c’est recommandé (mandûb) à titre individuel de s’y rendre. Sachant que si l’imam désigné prie seul à la mosquée, on considère que la sunna est remplie.
17. Peut-on refaire en groupe une prière déjà priée seul ?
Il est recommandé, pour celui qui a déjà prié une prière obligatoire seul, de refaire cette prière s’il trouve un groupe (au moins deux personnes) qui s’apprêtent à la prier, et ceci sauf pour la prière du maghrib, ni pour celle du ‘ichâ si l’on a déjà prié le witr. S’il avait déjà prié cette prière obligatoire en groupe, il ne lui est pas permis de refaire cette prière en groupe.
18. Lorsque je suis derrière l’imam, dois-je réciter la Fâtiha ?
Le ma-mûm est tenu de garder le silence lorsque l’imam récite le Coran (al-Fâtiha ainsi que la sourate qui la suit) à haute voix. Lorsque l’imam récite à voix basse, il lui est recommandé de réciter à voix basse également. La récitation de la Fâtiha n’est donc un pilier de la prière que pour l’imam et celui qui prie seul, tandis qu’elle n’est que recommandée pour le ma-mûm.
19. Quel est le statut du fait de dire « âmîn » après la récitation de l’imam ?
Une fois la Fâtiha terminée, il est recommandé de dire – toujours à voix basse – « âmîn » pour celui qui prie seul et le ma-mûm, ainsi que pour l’imam lors des récitations à voix basse seulement. Car lorsqu’il récite à voix haute, l’imam ne dit pas du tout « âmîn », seuls ceux qui prient derrière lui le disent.
20. Que dire lorsque l’on se relève de l’inclinaison ?
Lorsqu’il se relève de l’inclinaison, celui qui prie seul dit : « sami’allâhu li-man hamidah » suivi de « rabbanâ wa laka-l-hamd ». L’imam ne dit que « sami’a allâhu li-man hamidah », tandis que le ma-mûm ne dira que « rabbanâ wa laka-l-hamd ».